La tentation de Saint Antoine - Jerome Bosch

Claviceps purpureergot du seigle :  champignon du groupe des ascomycètes, parasite du seigle (et d’autres céréales). Il contient des alcaloïdes responsables de l’ergotisme, en particulier l’acide lysergique dont est dérivé le LSD.
Embranchement : Ascomycota
Sous-embr. : Pezizomycotina
Classe : Sordariomycetes
Sous-classe : Hypocreomycetidae
Ordre : Hypocreales
Famille : Clavicipitaceae
Bosch et le champignon de la fin du monde
 Une autre histoire qui m’a fait cogiter sur les relations entre l’espèce humaine et les mycète est l’affaire du pain maudit. Durant le mois d’août 1951, une ville du Gard – Pont-Saint-Esprit – est frappée d’un « mal mystérieux ».
Délicat de faire pour le moment une association avec la situation actuelle dans le monde mais ce que l’on sait, c’est que cet été là, la salle d’attente du médecin de cette petite ville est pleine à craquer. Les patients se plaignent de frissons, de bouffées de chaleur et de vomissements. Jusque là, ces signes pourraient être interprétés comme les symptômes d’une intoxication alimentaire, sauf que les patients n’ont pas mangé aux mêmes endroits. Rapidement, les voilà qui se plaignent d’hallucinations et de vertiges. Toutes ces affections empirent et touchent de plus en plus de personnes, obligeant les autorités à mettre en place une cellule de crise. Celle-ci émet diverses hypothèses dont la suivante : « et si c’était le pain ? ».
Le 22 août 1951, suite à la fermeture des boulangeries, le journal Le Monde écrit « la population qui ne peut plus manger de pain a fait des achats massifs de biscottes, on ne peu plus en trouver un seul paquet à Pont-saint-esprit ». C’est un peu notre actuel « Les habitants qui ne pourrons plus fréquenter d’établissement public afin de faire décroître la courbe épidémique de pandémie décident tous de sortir pour la dernière soirée d’ouverture des bars » cela croisé - on y pense aussi tout de suite - avec la panique qui a poussé certaines personnes à se ruer dans les supermarchés.
Mais revenons à 1951, et plus particulièrement à la nuit du 25 au 26 août, nuit que les habitants appellent « la nuit de l’apocalypse ». Certains malades se mettent à sauter par les fenêtres, d’autres sont en proie à de profondes bouffées délirantes. Cinquante personnes à l’hôpital deviennent complètement folles alors qu’au même moment, dans la ville, les gendarmes reçoivent des appels de détresse de personnes ne sachant gérer leurs parents ou leurs enfants, tirant a la carabine contre des ennemis invisibles ou se jetant contre les murs à s’en briser les côtes. Lors de cet épisode, un jeune garçon décède, son estomac est envoyé dans un laboratoire de toxicologie.
Un professeur de la faculté de médecine de Montpellier émet l’hypothèse suivante : il est possible que ces événements soient causés par l’ergot du seigle, un champignon parasite du blé. L’ergotisme, le nom de l’infection, était une maladie plutôt commune au moyen-âge, mais était alors associée à la volonté du diable qui prenait possessions du corps des malades pour les rendre fous.
    Cette maladie était apparue une dernière fois en Russie au 19ème siècle. Les spécialistes se posent alors cette question légitime « une maladie peut-elle réapparaître comme ça ? » En attendant, l’autopsie du bol alimentaire de la première victime tombe : ce serait effectivement bien l’ergot du seigle. La farine du boulanger Rochebrillant aurait été contaminée par ce champignon. La justice convoque le boulanger qui renvoit la patate chaude du côté des fournisseurs de farine qui la renvoi à leur tour à l’office national des céréales. Pendant que la justice examine les différents intermédiaires de ces échanges pour trouver un coupable, une nouvelle analyse du laboratoire Sandoz vient bouleverser l’enquête : Pas de traces d’ergot de seigle dans la farine et pourtant aucune autopsie supplémentaires n’est pratiquée sur les nouvelles victimes de ce mal, tout cela alimentant dès lors l’imaginaire collectif : « les autorités sont elles en train d’étouffer cette affaire ? »
Élément intéressant à retenir à propos de l’ergotisme : au moyen-âge il était donc assez courant de voir cette maladie apparaître de temps à autre, il était aussi assez courant, toujours au moyen-age, de peindre des scènes de la vie quotidienne, sous couvert d’allégorie religieuse.  La tentation de Saint-Antoine est un triptyque réalisé par le peintre Jérôme Bosch au XVIe siècle. Il a justement  pour thème l’ergotisme, qu’on appelle alors à cette époque le feu de Saint-Antoine. Certains historiens supposent même que Bosch ait usé d’ergot du seigle pour construire l’univers délirant et psychédélique de ses compositions. Peut-être, mais ce qui est indéniable – et qui saute tout de suite aux yeux de nos protagonistes de 1951 – c’est que le tableaux du peintre médiéval retranscrit assez curieusement la nuit de l’apocalypse telle que les habitants de Pont-Saint-Esprit l’ont vécu. Folie collective, agressivité, corps errants ici et là dans l’incompréhension générale.
Après que le laboratoire toxicologique de Marseille ait finalement écarté l’hypothèse d’une contamination à l’ergot du seigle dans la farine du meunier qui fournissait la boulangerie incriminée, d’autres postulats seront tour à tour vérifiés par les autorités de l’époque. L’une est assez intéressante dans le sens où elle n’impute plus la maladie au champignon parasite mais au produit fongicide utilisé à l’époque pour conserver les grains de blé et qui contenait une forte dose de mercure. Ce serait donc le Panogen, un produit fongicide créé par l’homme, qui serait à l’origine des maux de Pont-Saint-Esprit, et non des champignons.
Retournement de situation assez franc dans la recherche de l’origine des maux « est-ce la nature qui nous empoisonne ou est-ce parce que nous utilisons les technologies pour aller contre la nature que nous nous intoxiquons ? » Je m’aperçois grâce à cette question qu’Anna Tsing y avait déjà fait allusion.
Cette professeure d’anthropologie s’intéresse à  un champignon de l’ordre des basidiomycètes  – c’est à dire un champignon à chapeau et à lamelles – le matsutake.  Le matsutake se différencie de l’ergot du seigle (qui est un pyrénomycète) et des moisissures asexuées à conidies (qui sont des zygomycète).* Il me semble important de préciser que ces espèces, même si elles appartiennent au même règne, sont extrêmement différentes. Ce n’est pas simplement leur appartenance au taxon très large de « champignon » qui les rassemblent , mais les pistes de réflexions qu’elles ouvrent et qui s’entrecroisent.
Les Matsutakes sont des champignons rares, fragiles et très prisés qui ont été largement surexploités. Ils sont le sujet d’étude d’Anna Tsing dans son ouvrage « Le champignon de la fin du monde ». Elle remarque que ceux-ci sont les premiers organismes à réinvestir les zones détruites par l’activité humaine, que ce soit à cause de l’agriculture intensive ou bien après la bombe d’Hiroshima. Elle considère ceux-ci comme une invitation à abandonner les progrès technologiques en matière d’agriculture pour poser notre regard aux lisières des plantations ou dans les zones dévastées par l’activité humaine.
Anna Tsing décèle au sein des ruines du capitalisme de nouvelles possibilités de vie dans des environnements disposant d’extrêmement peu de nutriments et elle fait le constat suivant : En donnant l’exemple d’une plantation monospécifique pouvant être décimée entièrement lorsque survient un parasite, - contrairement aux plantations non standardisées par l’économie - l’anthropologue explique ceci « Toutes les recherches que j’ai effectuées sur ce que j’appelle la prolifération férales sauvage à partir des plantations et l’exemple de ce champignon tueur des plantation de bananes en est un exemple : plus on va essayer de trouver des solutions technologiques aux problèmes auxquels nous sommes confrontés et plus on va accentuer les dégâts sur l’environnement et  les rendre irréversibles. Les ingénieurs [...] ne pensent pas souvent aux conséquences des solutions technologiques qu’ils proposent, si bien que certaines solutions supposément mirifiques, comme celle du capitalisme vert, ne causent que d’avantage de problèmes »
Cette constatation est  très intéressante à mettre en parallèle avec l’hypothèse du Panogen, le produit fongicide utilisé dans les années 50. Si cette hypothèse s’avérerait un jour exacte, cela voudrait dire que ce ne sont pas les champignons parasites les « coupables » de cet interminable enquête, mais la solution technologique de prévention contre la contamination fongique proposée par les laboratoires.
Une dernière hypothèse émise sur ces évènements m’a également permis de venir nourrir mon travail et mes recherches, celle de Hank Arbarelli, un journaliste indépendant américain. En 2009, il publie son livre « A terrible Mistake » dans lequel il expose sa théorie : le village de Pont-Saint-Esprit aurait été la cible d’une expérience de grande ampleur menée par la CIA, qui aurait fait asperger de LSD le village par voie aérienne. Dans les années 50, pendant la guerre froide, le gouvernement américain aurait travaillé sur des outils de manipulation mentale en utilisant des psychotropes, dont le LSD25. Ce LSD fut synthétisé en 1938 à partir de dérivés, tiens donc, de l’ergot de seigle par Albert Hofmann et Arthur Stoll qui travaillaient alors pour le laboratoire suisse Sandoz. Ce serait également vers le laboratoire Sandoz que les médecins de Pont-Saint-Esprit auraient envoyé le contenu du bol alimentaire d’une des victimes, compromettant la neutralités des résultats de ces analyses pour dissimuler le fait que ces expériences aient eu lieu. Les adeptes de cette théorie sont nombreux. Même si les preuves sont minces, elles prouvent encore une chose : certaines personnes envisagent mal qu’un champignon, un tout petit parasite puisse altérer le bon fonctionnement de tout un village. Au début de l’année, quand j’en suis venue à cette première conclusion, elle était assez ténue. Mais aujourd’hui plus que jamais, le fait de m’être interrogé sur le rapport qu’entretient l’Homme avec le vivant qui peut lui être nuisible prends une toute autre dimension.

* Actualités pharmaceutiques, Volume 48, n° S1 page 2 (2009) Module 15: Reconnaître les principaux champignons toxiques ou mortels.

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